Dossiers législatifs

LOI n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme

Exposé des motifs

Si l'arsenal juridique français, encore renforcé par la loi du 21 décembre 2012, permet de lutter contre les actes de terrorisme de façon à la fois efficace et respectueuse des principes d'un Etat de droit, les événements récents ont mis en lumière quelques manques de notre législation qu'il importe de combler afin de mieux prévenir et mieux réprimer de tels actes.

Le Gouvernement vient d'adopter un plan de lutte contre la radicalisation violente, qui comprend plusieurs mesures, au premier rang desquelles figure l'institution d'une interdiction administrative de sortie du territoire. Ce projet de loi met en place cette interdiction, qui évitera à des Français dont les déplacements hors du territoire national seraient mis à profit pour acquérir une compétence de lutte armée ou pour se radicaliser davantage de devenir, à leur retour, un danger pour la sécurité nationale. Cette mesure, limitée dans le temps et prise sous le contrôle du juge, est nécessaire pour faire face à la recrudescence de départ de jeunes Français vers des zones où l'apprentissage de la lutte armée peut se doubler d'un embrigadement idéologique.

La prévention du terrorisme dépend également des capacités offertes à l'administration pour gérer les personnes de nationalité étrangère qui, visées par une mesure d'expulsion compte tenu de la menace particulièrement grave pour l'ordre et la sécurité publics qu'elles représentent, ne peuvent temporairement être éloignées du territoire et font l'objet d'une assignation à résidence.

Par ailleurs, la France ne peut tolérer que sur son propre sol, on puisse diffuser en toute impunité des messages appelant au terrorisme ou le glorifiant. Ces messages participent du conditionnement idéologique et sont de nature à conduire à la commission d'actes de terrorisme.

Elle ne peut pas davantage laisser prospérer une entreprise terroriste individuelle et se priver des moyens de prévenir la commission d'un acte de terrorisme par un individu seul, revendiquant cet acte au nom d'une idéologie.

Aussi, le présent projet vise-t-il à renforcer les moyens de lutte contre la propagande terroriste, tant sur le plan de la procédure pénale qu'en matière de police administrative. Il ne s'agit pas ici de réprimer des abus de la liberté d'expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l'origine des actes terroristes et qui participent d'une stratégie médiatique élaborée par des groupes criminels.

Il élargit également à l'entreprise terroriste individuelle les dispositions du code pénal relatives au délit d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, aujourd'hui clé de voûte des procédures en matière de terrorisme.

Le premier chapitre comprend un seul article qui vise à permettre à l'Etat d'interdire le départ de France d'un ressortissant français lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire qu'il projette des déplacements à l'étranger ayant pour objet la participation à des activités terroristes, des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, ou sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. L'interdiction doit pouvoir s'appliquer indépendamment de la possession par la personne concernée d'un titre d'identité et de voyage. Le fait de quitter le territoire national ou de tenter de le quitter en violation d'une décision d'interdiction d'en sortir est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende.

Le champ d'application du dispositif est circonscrit. Il s'agit d'une restriction à la liberté d'aller et venir, justifiée par la poursuite d'un objectif impérieux de sauvegarde de l'ordre public :

  • d'une part, l'ordre public sur le territoire national : la sortie du territoire permettrait en effet à l'intéressé, dans des situations très spécifiques, d'acquérir des compétences de lutte armée doublée d'un embrigadement qui pourraient ensuite être réimportés et favoriser des actions terroristes. Compte tenu du droit dont jouit tout Français de retourner dans son pays, l'Etat doit donc être en mesure de protéger la sécurité nationale en empêchant la personne concernée de quitter la France ;
  • d'autre part, l'ordre public international : l'interdiction est prononcée lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire que les déplacements sont en lien avec des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, eu égard aux principes que ces actions mettraient en cause et à leur retentissement pour l'Etat.

Ce type de disposition existe d'ailleurs en Grande-Bretagne et en Allemagne.

Cette mesure est proportionnée à l'objectif poursuivi, compte tenu du fait que la décision est prise dans des situations d'une gravité extrême, par le ministre de l'intérieur, pour une durée limitée qui ne peut excéder six mois. Elle peut être renouvelée, aussi longtemps que les conditions en sont réunies.

Compte tenu de l'urgence et de la nécessité de garantir l'effectivité de la mesure, celle-ci est dispensée de la mise en œuvre d'une procédure contradictoire préalable. Toutefois, la personne visée est entendue, dès le prononcé de la mesure et dans un délai maximal de quinze jours, afin de permettre au ministre, le cas échéant, de rapporter la décision, si les éléments fournis par la personne concernée le justifient.

L'interdiction de sortie du territoire, qui emporte retrait et invalidation du passeport, permet d'interdire le déplacement des ressortissants français hors l'espace Schengen, lorsque ce déplacement est subordonné à la présentation d'un tel document. Elle ne permet toutefois pas, à elle seule, d'interdire les déplacements de ressortissants français à l'intérieur de cet espace qui peuvent s'effectuer sans passeport, ni à l'extérieur pour les destinations qui n'exigent que la présentation de la seule carte d'identité.

C'est pourquoi, afin de pouvoir éviter la sortie du territoire des personnes faisant l'objet d'une interdiction vers des destinations n'imposant pas la présentation d'un passeport, l' article 1e r prévoit de compléter le dispositif prévu au chapitre II du titre III du livre II de la partie législative du code de la sécurité intérieure et mettant à la charge des compagnies de transport, l'obligation de transmettre à l'autorité administrative, les données d'enregistrement des passagers. Lorsque l'autorité administrative constate que des passagers font l'objet d'une interdiction de sortie du territoire, une interdiction d'embarquement est notifiée aux compagnies concernées. La non-application de cette interdiction d'embarquement par la compagnie de transport est sanctionné pénalement, tout comme l'est déjà le non-respect de l'obligation de transmission des données d'enregistrement (L. 232-5 du code de la sécurité intérieure).

A terme, lorsque le traitement relatif aux données des passagers dit « PNR » (Passenger Name Record) sera opérationnel (L. 232-7 du code de la sécurité intérieure), les données de réservation et d'enregistrement transmises concerneront toutes les destinations (intra et hors Schengen).

Faisant l'objet d'un refus d'embarquement, ces personnes pourront également être poursuivies pour tentative de quitter le territoire, la tentative étant matérialisée par l'enregistrement sur un vol extérieur.

Enfin, les personnes qui seront sorties du territoire, en dépit d'une interdiction dûment notifiée, pourront faire l'objet d'un mandat d'arrêt européen, qui sera diffusé dans le fichier du Système d'information Schengen et par INTERPOL.

Le deuxième chapitre a vocation à renforcer les dispositions applicables aux étrangers assignés à résidence.

L'article 2 propose d'insérer dans le CESEDA, après l'article L. 571-3 relatif au placement sous surveillance électronique mobile, des dispositions permettant à l'autorité administrative d'interdire à l'étranger assigné à résidence, faisant l'objet d'une mesure d'éloignement motivée par un comportement lié au terrorisme, d'être en relation avec certaines personnes nommément désignées liées aux mouvances terroristes, dans la mesure où cela est nécessaire à la préservation de la sécurité publique.

Le troisième chapitre renforce la répression des actes de terrorisme et tire les conséquences de l'intégration de l'apologie et de la propagande dans la stratégie médiatique des organisations terroristes.

L'article 3 complète la liste de l'article 421-1 du code pénal définissant les actes de terrorisme pour y ajouter la diffusion de procédés permettant la fabrication d'engins de destruction, la détention de produits incendiaires ou explosifs ou d'éléments entrant dans la composition de produits ou engins explosifs.

L'article 4 matérialise la volonté du Gouvernement de lutter contre le développement, sans cesse plus important, de la propagande terroriste qui provoque ou glorifie les actes de terrorisme. Afin d'améliorer l'efficacité de la répression en ce domaine et en considération du fait qu'il ne s'agit pas en l'espèce de réprimer des abus de la liberté d'expression mais de sanctionner des faits qui sont directement à l'origine des actes terroristes, il convient de soumettre ces actes aux règles de procédure de droit commun et à certaines règles prévues en matière de terrorisme.

A cet effet, il sort de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse les délits de provocation aux actes de terrorisme et apologie de ces actes et introduit ces délits dans le code pénal dans un nouvel article 421-2-5. La peine, actuellement fixée par la loi sur la presse à cinq ans d'emprisonnement, est maintenue mais est aggravée lorsque les faits seront commis sur internet (sept ans d'emprisonnement), afin de tenir compte de l'effet démultiplicateur de ce moyen de communication.

L'insertion de ces délits dans le code pénal permettra d'appliquer les règles de procédure et de poursuites de droit commun, exclues en matière de presse, comme la possibilité de saisies ou la possibilité de recourir à la procédure de comparution immédiate.

L'article 5 , afin de tenir compte de l'évolution de la menace terroriste et de la possibilité pour une personne seule de préparer un acte de terrorisme, incrimine l'entreprise terroriste individuelle. Cette disposition est conforme à l'esprit du code pénal dont il faut rappeler qu'il définit, depuis son adoption en 1992, les actes de terrorisme par la notion d' « entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

La notion d'entreprise terroriste individuelle, prévue dans les systèmes juridiques britannique et allemand, répond à une réelle nécessité, établis par de récentes affaires mais aussi par le développement de l'auto-radicalisation, notamment par la consultation habituelle de sites internet appelant à la commission d'actes de terrorisme ou fournissant des techniques permettant le passage à l'acte.

A défaut d'addition d'au moins deux volontés prévue par l'association de malfaiteurs qui traduit une détermination dans le passage à l'acte légitimant l'existence d'une infraction obstacle, la nouvelle infraction doit, au travers de ses éléments matériels, traduire cette détermination de la personne agissant seule. L'infraction obstacle visant à empêcher la commission de l'acte dangereux, il apparaît indispensable de démontrer que la personne agissant seule dispose déjà des instruments nécessaires à la commission de l'infraction, cherche à les obtenir, à se les procurer ou à les fabriquer.

Le champ de l'infraction est donc limité à la préparation des actes terroristes les plus graves et les plus violents, ceux visés au 1° de l'article 421-1 du code pénal et, lorsque l'acte préparé consiste en des destructions par substances explosives ou incendiaires destinées à entraîner des atteintes à l'intégrité physique de la personne, au 2° du même article ainsi qu'à l'article 421-2.


L'article 6 modifie ou complète les dispositions du code de procédure pénale afin que les délits de provocation aux actes de terrorisme ou d'apologie de ces actes ne soient soumis qu'à certaines des règles de procédure concernant les actes de terrorisme, comme la compétence de la juridiction parisienne, la possibilité de procéder à des surveillances, des infiltrations, des écoutes téléphoniques lors de l'enquête de flagrance ou de l'enquête préliminaire, des sonorisations et des captations de données informatiques.

Il n'est en effet pas justifié que l'ensemble des règles de procédure prévues en matière de terrorisme soient applicables à ces délits.

Ainsi, l'article 706-23 prévoit la possibilité pour le ministère public de saisir le juge des référés aux fins d'obtenir l'arrêt d'un service de communication au public en ligne. L'article 706-24-1 prévoit que les dispositions de l'article 706-88, relatives à la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures, et celles des articles 706-89 à 706-94, relatives aux perquisitions de nuit, ne seront pas applicables. En outre, l'article 706-25-1 du code de procédure pénale est complété afin de prévoir que ne seront pas applicables à ces délits les dispositions relatives à l'allongement à vingt ans du délai de prescription de l'action. La prescription de délit de provocation aux actes de terrorisme ou d'apologie de ces actes sera donc celle de droit commun de trois ans.

Enfin, l'article 706-25-2, qui prévoit actuellement la possibilité de recourir aux enquêtes sous pseudonyme pour les délits de provocation et apologie du terrorisme, est abrogé par coordination avec les dispositions de l'article 13 du projet de loi qui prévoit l'extension de cette technique d'enquête à l'ensemble des infractions relevant de la criminalité organisée et donc aux infractions terroristes.

Le chapitre IV prévoit des dispositions renforçant les moyens de prévention et d'investigation.

L'article 7 étend les règles relatives à la compétence concurrente de la juridiction parisienne aux infractions commises en détention, à l'évasion et au non-respect de l'assignation à résidence d'une personne détenue, prévenue, condamnée, recherchée pour des actes de terrorisme ainsi qu'à la violation de l'interdiction de sortie du territoire.

L'article 8 modifie les dispositions permettant la mise en œuvre du gel des avoirs dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme. Il rend le ministre de l'intérieur co décisionnaire, avec le ministre chargé de l'économie, des décisions de gel des avoirs. Cette compétence est justifiée par les missions de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme dont a la charge le ministère de l'intérieur. Elle permettra par ailleurs au ministère de pouvoir être représenté en cas de contentieux et d'apporter les éléments au soutien de la mesure.

L'article 9 complète les dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique afin de prévoir la possibilité, pour l'autorité administrative, de demander aux fournisseurs d'accès à internet de bloquer l'accès aux sites provoquant aux actes de terrorisme ou en faisant l'apologie, à l'instar de ce que le législateur a déjà prévu pour les sites pédopornographiques. La régularité de l'établissement de la liste des sites dont l'accès est bloqué est soumise au contrôle d'un magistrat judiciaire. De manière logique, les fournisseurs d'accès sont également astreints à l'obligation de surveillance limitée prévue par la loi du 21 juin 2004.

L'article 10 , pour prendre en compte le développement du stockage des données dans le nuage et du recours massif aux terminaux mobiles (smartphones, tablettes, ...), adapte les modalités de perquisition d'un système informatique prévues par l'article 57-1 du code de procédure pénale et prévoit, dans ces hypothèses, que les règles de la perquisition s'appliquent si les données ainsi stockées sont accessibles à partir d'un système informatique implanté dans les services de police ou unités de gendarmerie.

L'article 11 prévoit que les officiers de police judiciaire peuvent requérir toute personne qualifiée pour mettre au clair les données chiffrées.

L'article 12 renforce le caractère dissuasif des différentes incriminations relatives aux atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, en prévoyant pour ces infractions une circonstance aggravante de bande organisée. Pour la poursuite et le jugement de ces infractions aggravées, cet article étend le régime de la criminalité organisée : les atteintes aux systèmes de traitement automatisé mis en œuvre par l'Etat relèveront de la compétence des juridictions inter-régionales spécialisées et pourront faire l'objet de techniques spéciales d'enquête.

L'article 13 a pour objet d'étendre le champ d'application de l'enquête sous pseudonyme en le généralisant à l'ensemble des infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisée lorsqu'elles sont préparées, facilitées ou commises par un moyen de communication électronique.

L'article 14 étend le dispositif de captation de données informatiques aux données informatiques introduites dans un système de traitement automatisé de données telles qu'elles sont reçues ou émises des périphériques audiovisuels afin de permettre d'intercepter les communications passées par ce biais.

L'article 15 modifie l'article L. 242-6 du code de la sécurité intérieure et porte à trente jours la durée de conservation des enregistrements des interceptions de sécurité.

Le chapitre V traite des dispositions relatives à l'outre-mer.

L'article 16 autorise le Gouvernement à prendre, par ordonnance, les mesures nécessaires en vue d'appliquer et d'adapter les dispositions de la présente loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna, ainsi que de permettre l'assignation à résidence sur l'ensemble du territoire de la République d'un étranger expulsé ou interdit du territoire, quel que soit le lieu où ces décisions ont été prononcées.

L'article 17 permet l'application de l'article 2 de la présente loi à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

L'article 18 comporte des dispositions de coordination et étend le champ des dispositions des articles 3 à 8 et 10 à 14 à l'ensemble du territoire de la République.

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