CDBF - Arrêt - 27/07/2022 - Institut national de la propriété industrielle (INPI) - 2ème arrêt - n° 260-802 II

Texte intégral

LA COUR DE DISCIPLINE BUDGÉTAIRE ET FINANCIÈRE,

siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l’arrêt suivant :

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre 1 er de son livre III relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le code des relations entre le public et l’administration, notamment son article L. 221‑14 ;

Vu le code de la propriété intellectuelle ;

Vu la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84‑16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État ;

Vu le décret n° 84‑38 du 18 janvier 1984 modifié fixant la liste des établissements publics de l’État à caractère administratif prévue au 2° de l’article 3 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, en vigueur jusqu’à son abrogation le 1 er avril 2017 ;

Vu le décret n° 86‑83 du 17 janvier 1986 modifié relatif aux dispositions générales applicables aux agents non titulaires de l’État pris pour l’application de l’article 7 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée ;

Vu le décret n° 2001‑1336 du 28 décembre 2001 modifié fixant le statut des personnels contractuels de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) ;

Vu le décret n° 2002‑715 du 3 mai 2002 modifié relatif au régime indemnitaire des agents de l’INPI ;

Vu le décret n° 2006‑781 du 3 juillet 2006 modifié fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’État, et ses arrêtés d’application ;

Vu l’arrêté du 10 septembre 1997 fixant les modalités spéciales du contrôle d’État sur l’INPI, modifié par le décret n° 2005‑436 du 9 mai 2005 portant statut particulier du corps du contrôle général économique et financier, en vigueur jusqu’à son abrogation le 31 décembre 2014 ;

Vu l’arrêté du 28 décembre 2001 modifié relatif à l’échelonnement indiciaire des personnels de l’INPI, pris en application de l’alinéa 2 de l’article 11 du décret du 28 décembre 2001 susvisé ;

Vu l’arrêté du 3 mai 2002 modifié portant application du décret du 3 mai 2002 susvisé ;

Vu le réquisitoire du 9 décembre 2016 par lequel le procureur général a saisi le Premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière, de faits relatifs à la gestion administrative et financière de l’INPI ;

Vu la décision du 5 janvier 2017 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a désigné Mme Audrey Macaud, alors première conseillère de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, en qualité de rapporteure de l’affaire ;

Vu la lettre recommandée du procureur général du 29 mai 2017, ensemble l’avis de réception de cette lettre, par laquelle M. X..., directeur général de l’INPI du 26 août 2010 au 6 octobre 2016, a été mis en cause, au regard des faits de l’espèce ;

Vu la lettre du 5 janvier 2018 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant au ministère public le dossier de l’affaire après le dépôt du rapport de Mme Macaud ;

Vu la décision du 8 avril 2019 du procureur général renvoyant M. X... devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre recommandée adressée par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. X..., le 2 septembre 2019, l’avisant qu’il pouvait produire un mémoire en défense et le citant à comparaître le 4 décembre 2019 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble l’avis de réception de cette lettre ;

Vu le mémoire en défense produit par Maître Lepron dans l’intérêt de M. X..., le 12 novembre 2019 ;

Vu l’arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière n° 239‑802 en date du 23 janvier 2020 ;

Vu la décision du Conseil d’État n° 439665 du 30 décembre 2021 annulant partiellement l’arrêt précité de la Cour de discipline budgétaire et financière et renvoyant l’affaire devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre recommandée adressée par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. X..., le 6 mai 2022, l’avisant qu’il pouvait produire un mémoire en défense et le citant à comparaître le 8 juillet 2022 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble l’avis de réception de cette lettre ;

Vu le mémoire en défense produit le 27 juin 2022 par Maître Lepron dans l’intérêt de M. X... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Entendu la représentante du ministère public, présentant la décision de renvoi ;

Entendu la procureure générale en ses réquisitions ;

Entendu M. X..., l’intéressé ayant été invité à présenter ses explications et observations, la défense ayant eu la parole en dernier ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant ce qui suit :

Sur la saisine de la Cour

1. Par sa décision susvisée en date du 30 décembre 2021, le Conseil d’État a, d’une part, annulé l’arrêt de la Cour de discipline budgétaire et financière du 23 janvier 2020 en tant qu’il concerne M. X…, dans la mesure où il a opposé la prescription et a statué sur le remboursement de frais d’hébergement et de repas dans le ressort de la résidence administrative, et, d’autre part, renvoyé l’affaire devant la Cour de discipline budgétaire et financière. Dans sa décision, le Conseil d’État a jugé, en ce qui concerne les décisions du directeur général de l’INPI des 10  juin et 8 juillet 2011 relatives respectivement à l’attribution d’une prime de performance et à l’attribution de suppléments de traitement pour mission à l’étranger, que c’était à tort que la Cour avait opposé la prescription en estimant qu’elle n’avait pas été valablement saisie faute de précisions suffisantes dans la décision de renvoi. Par ailleurs, le Conseil d’État a également jugé, pour la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 313‑6 du code des juridictions financières, que « […] la circonstance que la responsabilité du comptable de la collectivité ou de l’organisme en cause ait été mise en jeu à raison des mêmes dépenses que celles reprochées à l’ordonnateur et qu’il ait été constitué débiteur de cette collectivité ou de cet organisme par le juge des comptes  [ n’était ]  pas de nature à effacer l’existence d’un préjudice pour le Trésor, la collectivité ou l’organisme intéressé.  »

2. Au cours de l’audience publique du 8 juillet 2022, le ministère public a réduit le champ de la saisine de la Cour aux seuls faits portant sur le versement d’une prime de performance semestrielle à certains fonctionnaires détachés et d’un supplément de traitement pour mission à l’étranger, et sur le remboursement de frais d’hébergement et de repas dans le ressort de la résidence administrative.

Sur la compétence de la Cour

3. En application du b) du I de l’article L. 312‑1 du code des juridictions financières, la Cour de discipline budgétaire et financière est compétente pour connaître des infractions susceptibles d’avoir été commises dans l’exercice de leurs fonctions par «   Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics  […] ». Aux termes de l’article L. 411‑1 du code de la propriété intellectuelle, l’INPI est «  un établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière, placé auprès du ministre chargé de la propriété industrielle  ». Il en résulte que les agents de l’INPI sont justiciables de la Cour.

Sur les faits, leur qualification juridique et l’imputation des responsabilités

En ce qui concerne la prime de performance semestrielle accordée à certains fonctionnaires détachés

4. Dans sa décision du 30 décembre 2021 susvisée, le Conseil d’État a jugé que les dispositions du décret du 3 mai 2002 qui définissent le régime indemnitaire applicable aux agents de l’INPI étaient applicables aux fonctionnaires bénéficiant d’un détachement sur contrat auprès de l’établissement.

5. Aux termes de l’article 1 er du décret du 3 mai 2002 susvisé « Une prime de performance peut être attribuée aux agents permanents de l’Institut national de la propriété industrielle, dans la limite des crédits ouverts à cet effet. Cette prime varie en fonction de la contribution des agents à la performance collective. Elle est constituée d’une part individualisée et d’une part collective ». Et aux termes de son article 2, « La part individualisée de la prime de performance varie en fonction de la manière de servir de chaque agent, du poste qu’il occupe et de l’exercice effectif des fonctions. […] Les modalités d’attribution de cette part sont fixées par décision du directeur général, après avis du comité technique de l’institut. »

6. Par une décision n° 2011‑267 du 10 juin 2011, le directeur général de l’INPI a fixé les principes d’attribution, de calcul et de paiement de la part individualisée de la prime de performance prévue par l’article 2 du décret du 3 mai 2002 susvisé. Les principes d’attribution définis par la décision, qui vise explicitement ce décret et son arrêté d’application, distinguent une part mensuelle et une part semestrielle. En application de l’article 6 de cette décision, les fonctionnaires détachés à l’INPI «  peuvent faire l’objet chaque semestre d’une attribution individualisée de la prime de performance, sur les critères d’exercice effectif des fonctions, du poste occupé et de la manière de servir, dans les mêmes conditions et montants indicatifs que les contractuels de l’institut.  »

7. Il résulte de l’instruction qu’en application de cette décision, les agents de l’INPI qui ont participé à l’obtention par l’établissement de la certification ISO 9001 en 2012, dont huit fonctionnaires détachés, ont bénéficié d’une prime de performance semestrielle d’un montant fixe égal à 150 € en juin 2012.

8. Dans sa décision de renvoi, confirmée pour partie oralement lors de l’audience publique, le ministère public, s’appuyant sur la décision du Conseil d’État, relève que le montant de la prime allouée aux intéressés était fixe et ne tenait pas compte du poste qu’ils occupaient. Il considère ainsi que ce montant ne peut donc être considéré comme satisfaisant aux dispositions de l’article 2 du décret du 3 mai 2002. Il en déduit que cette prime semestrielle devait être regardée comme une prime distincte de la part individualisée de la prime de performance prévue par le décret de 2002 précité et que, par voie de conséquence, elle serait dépourvue de base juridique et aurait été prise par une personne qui n’en avait pas le pouvoir alors qu’elle aurait dû être soumise au conseil d’administration de l’établissement.

9. L’autorité administrative compétente peut, dans la limite des dispositions législatives et réglementaires applicables, fixer les conditions de la rémunération des agents placés sous son autorité. Or, il ne résulte pas de l’instruction que le directeur général de l’INPI, qui était compétent pour prendre la décision contestée du 10 juin 2011, ait outrepassé les attributions qui étaient les siennes, ni qu’il ait méconnu les dispositions du décret du 3 mai 2002 précité qui ne faisaient pas obstacle à ce que, dans son appréciation portée sur chacun des fonctionnaires concernés, il décide d’attribuer le même montant de prime à un nombre très réduit d’agents qui avaient tous participé à la procédure d’attribution de la certification ISO 9001. Les griefs n’apparaissent donc pas constitués en l’espèce.

En ce qui concerne le supplément de traitement pour mission à l’étranger

10. En mai 2011, dans le cadre du programme d’appui au plan d’action Maroc-Union européenne, un contrat de jumelage, financé par l’Union européenne à hauteur de 800 000 €, a été conclu entre l’INPI, son homologue portugais et l’Office marocain de la propriété intellectuelle et commerciale (OMPIC). Au titre de ce jumelage, des agents de l’INPI sont intervenus à Rabat, en 2011 et 2012, en qualité d’experts au profit de l’OMPIC. Par décision n° 2011‑395 du 8 juillet 2011, le directeur général de l’INPI a décidé que ces agents bénéficieraient, en contrepartie de leur intervention, de « suppléments de traitement », sous forme d’« honoraires » d’un montant de 250 € ou 350 € par jour.

11. Il résulte de l’instruction qu’en application de cette décision, neuf agents de l’INPI ont bénéficié, pour un total de 8 500 €, d’« honoraires » en sus de leur traitement, pour des missions intervenues dans le cadre de ce contrat de jumelage en 2012.

12. Dans sa décision de renvoi, confirmée oralement lors de l’audience publique, le ministère public fait grief à la décision du 8 juillet 2011 d’être dépourvue de base juridique, d’avoir été prise par une personne qui n’en avait pas le pouvoir, de ne pas avoir été soumise au conseil d’administration et de ne pas avoir fait l’objet du visa préalable du contrôle général économique et financier. Il est également fait grief à cette décision d’avoir eu pour effet d’octroyer un avantage injustifié aux agents bénéficiaires.

13. Il résulte toutefois de l’instruction que le contrat de jumelage prévoit les conditions de financement de l’action et renvoie à son annexe A3 le détail de l’emploi de l’enveloppe budgétaire de 800 000 €. L’annexe A3 énumère l’ensemble des actions à mener dans le cadre du jumelage et précise notamment, pour chacune d’elles, le nom des experts et le montant de leurs honoraires, qui peut être de 350 € ou de 250 €. Dans ces conditions, la décision contestée du 8 juillet 2011 qui vise explicitement le contrat de jumelage apparaît fondée et elle ne peut avoir causé un préjudice financier pour l’INPI, les dépenses afférentes à la mission étant prises en charge par le budget alloué par la Commission européenne. En conséquence, les griefs n’apparaissent pas constitués en l’espèce.

En ce qui concerne le remboursement de frais d’hébergement dans le ressort de la résidence administrative

14. Le régime des frais de déplacement des agents de l’INPI est défini par un règlement adopté par le conseil d’administration en date du 20 juin 2011, lequel fait explicitement référence aux dispositions du décret du 3 juillet 2006 et de ses arrêtés d’application susvisés. Par suite, la régularité des dispositions de ce règlement et des décisions prises pour son application doit s’apprécier au regard du décret du 3 juillet 2006.

15. Par deux décisions des 11 et 16 janvier 2012, le directeur général de l’INPI a décidé que le secrétaire général bénéficierait du remboursement de ses frais d’hébergement et de repas dans le ressort de sa résidence administrative, sur la base de l’article 19 du règlement du 20 juin 2011, selon lequel «  Les agents qui, par nécessité absolue de service seraient empêchés de rejoindre leur domicile à l’issue de leur journée de travail seront défrayés de leurs frais d’hébergement sur place ainsi que de leurs frais de repas correspondants  ».Lemême article précise que « La nécessité absolue de service est définie par le directeur général de l’établissement et fait l’objet d’une décision circonstanciée  ».

16. Lors de l’audience publique, le ministère public, après avoir rappelé que la Cour avait jugé en première instance que les décisions prises en janvier 2012 étaient irrégulières, renvoie à la décision du Conseil d’État, sur l’appréciation de l’existence d’un préjudice financier en cas de mise en débet du comptable public par la Cour des comptes.

17. Aucune disposition du décret du 3 juillet 2006 ne prévoit le remboursement des frais d’hébergement lorsque l’agent se trouve dans sa résidence administrative. Sur ce point, le règlement adopté par l’INPI méconnait les dispositions de ce décret. Il s’ensuit que les deux décisions mentionnées ci-dessus, même si elles ont été prises en application de ce règlement, sont pour ce seul motif irrégulières.

18. Le fait d’avoir pris ces décisions irrégulières constitue une infraction aux règles relatives à l’exécution des dépenses au sens de l’article L. 313‑4 du code des juridictions financières. Ces agissements fautifs sont constitutifs d’un avantage injustifié au sens de l’article L. 313-6 du code des juridictions financières, octroyé au secrétaire général et entraînant un préjudice financier pour l’INPI à hauteur des versements indus effectués.

19. Ces faits sont imputables à M. X…, directeur général de l’INPI qui a signé les décisions irrégulières.

Sur les responsabilités et l’amende

20. Il résulte de ce qui précède que M. X…, directeur général de l’INPI au moment des faits, ne peut voir sa responsabilité être mise en cause qu’à raison du remboursement des frais d’hébergement. Mais une juste appréciation des irrégularités commises et des circonstances de l’espèce, eu égard notamment à la modicité des sommes en cause, conduit à ne pas lui infliger d’amende.

Sur la publication de l’arrêt

21. Il y a lieu, compte tenu des circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française, selon les modalités prévues par l’article L. 221‑14 du code des relations entre le public et l’administration, et, sous forme anonymisée, sur le site internet de la Cour, en application de l’article L. 313‑15 du code des juridictions financières. Il y a lieu également de mettre en place un lien entre le site internet de la Cour et le Journal officiel de la République française qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.

ARRÊTE :

Article 1  : M. X... est dispensé de peine.

Article 2  : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française et, sous forme anonymisée, sur le site internet de la Cour. Un lien sera créé entre le site internet de la Cour et le Journal officiel de la République française qui restera actif pendant un mois à compter de la publication.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, première section, le 8 juillet deux-mille-vingt-deux par M. Moscovici, Premier président de la cour des comptes, président ; Mme Escaut et M. El Nouchi, conseillers d’État ; Mme Casas et M. Rolland, conseillers maîtres à la Cour des comptes.

Notifié le 27 juillet 2022.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la Cour et la greffière.

Le président,                                                                        La greffière,

Pierre MOSCOVICI                                                            Isabelle REYT

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