Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 15 septembre 2021, 20-19.640, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

NL4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 septembre 2021




Cassation


Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 532 FS-B

Pourvoi n° M 20-19.640


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2021

Mme [Z] [I], épouse [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-19.640 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 2), dans le litige l'opposant à M. [W] [G], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [I], les observations et les plaidoiries de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [G], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, à la suite duquel le président a demandé à l'avocat s'il souhaitait présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 8 juin 2021 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M. Hascher, Mme Antoine, M. Vigneau, Mmes Bozzi, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Dard, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, Feydeau-Thieffry, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-22.158, Bull. 2017, I, n° 174) Mme [I] et M. [G], tous deux de nationalités française et tunisienne, se sont mariés en Tunisie le 4 août 1988.

2. Le 14 décembre 2010, M. [G] a saisi les juridictions tunisiennes d'une demande de divorce, lequel a été prononcé par un arrêt du 19 novembre 2012 devenu irrévocable.

3. Le 11 avril 2011, Mme [I] a saisi les juridictions françaises d'une requête en divorce. Par une ordonnance de non-conciliation du 20 juin 2011, le juge aux affaires familiales a rejeté l'exception de litispendance soulevée par M. [G], qui n'en n'a pas relevé appel. Devant la cour d'appel statuant au fond, M. [G] a opposé à la demande en divorce de Mme [I] l'autorité de chose jugée attachée au jugement de divorce tunisien.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 15 de la Convention relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires du 28 juin 1972 entre la France et la Tunisie et l'article 1110 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1380 du 17 décembre 2019 :

6. Selon le premier de ces textes, en matière civile ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat à la condition, notamment, que la décision ne soit pas contraire à une décision judiciaire rendue dans l'État requis et y ayant l'autorité de la chose jugée.

7. Il résulte du second qu'en matière de divorce, l'exception de litispendance ne peut être invoquée que devant le juge aux affaires familiales avant toute tentative de conciliation. La décision rendue de ce chef est revêtue de l'autorité de chose jugée et l'appel est immédiatement recevable, même si l'ordonnance rendue ne met pas fin à l'instance.

8. Pour décider que le jugement de divorce prononcé en Tunisie n'était pas contraire à l'ordonnance de non-conciliation, passée en force de chose jugée faute d'avoir été frappée d'appel, qui avait auparavant rejeté l'exception de litispendance au motif de l'incompétence indirecte du juge tunisien conduisant à l'irrégularité du jugement à intervenir, l'arrêt retient que le juge aux affaires familiales n'a statué quant à la compétence et à la loi applicable que pour la conciliation prévue aux articles 252 à 257 du code civil, sans préjuger de la compétence du juge qui serait saisi au fond de l'instance en divorce.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [G] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile rejette la demande de M. [G] et le condamne à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour Mme [I]

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande en divorce de Madame [I] ;

Aux motifs que, « aux termes de l'article 15 de la convention francotunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires, "en matière civile ou commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat s'il est satisfait aux conditions suivantes :
a) la décision émane d'une juridiction compétente au sens de l'article 16 de la convention ;
b) la partie succombante a comparu ou a été régulièrement citée ;
c) la décision n'est plus susceptible de voie de recours ordinaire conformément à la loi de l'Etat où elle a été rendue et est exécutoire dans cet Etat ;
d) la décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat ;
e) la décision ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire rendue dans l'État requis et y ayant l'autorité de la chose jugée ;
f) aucune juridiction de l'Etat requis n'a été saisie antérieurement à l'introduction de la demande devant la juridiction qui a rendu la décision dont l'exécution est demandée, d'une instance entre les mêmes parties fondée sur les mêmes faits et ayant le même objet."

L'article 16 de la même convention dispose que la compétence de l'autorité judiciaire de l'Etat dans lequel la décision a été rendue est fondée au sens de l'article précédent, lorsqu'il s'agit d'un litige concernant l'état, la capacité des personnes ou les droits et obligations personnels et pécuniaires découlant des rapports de famille, entre nationaux de l'Etat où la décision a été rendue ; en outre, en cas d'action en divorce ou en annulation de mariage, lorsque le demandeur avait la nationalité de l'Etat où la décision a été rendue et résidait habituellement depuis au moins un an sur le territoire de cet Etat à la date de l'acte introductif d'instance.

Il est constant qu'en l'espèce, chacun des époux a à la fois la nationalité française et la nationalité tunisienne.

Pour statuer sur l'exception de litispendance internationale soulevée par l'époux, le juge conciliateur a retenu à tort que la double nationalité des époux et le lieu de leur mariage ne suffisaient pas à rattacher le litige à la Tunisie à défaut d'autre élément, tenant à la résidence du demandeur à la procédure tunisienne. En effet, comme l'a noté la Cour de cassation tunisienne dans son arrêt 20 juin 2013, les deux époux étant tous deux de nationalité tunisienne, les juridictions françaises ne sauraient contester la compétence indirecte du juge tunisien fondée sur l'article 16 précité de la convention franco-tunisienne.

Par ailleurs, contrairement à ce qui figure dans l'exposé du litige de l'arrêt de la cour d'appel de Metz du 24 mai 2016, lequel mentionne que l'ordonnance de non-conciliation a "déclaré la juridiction française seule compétente pour connaître de la procédure", le dispositif de cette ordonnance ne se mentionne pas le caractère exclusif de la compétence du juge français.

Ainsi, la force de chose jugée attachée à l'ordonnance de 20 juin 2011 statuant sur la compétence du juge aux affaires familiales français saisi d'une requête en divorce n'interdit pas une compétence concurrente des juridictions tunisiennes.

Ensuite, il est constant que Mme [I] était représentée dans la procédure de divorce tunisienne engagée par son époux, l'arrêt de la Cour de cassation tunisienne relevant qu'il résulte du jugement prononcé le 19 décembre 2011 par le tribunal de Bizerte qu'elle a assisté à l'audience de réconciliation tenue le 26 avril 2011 et a présenté sa défense au fond, notamment sur les causes du divorce, en s'accordant avec son époux "sur la garde de leur enfant", et sans soulever d'exception d'incompétence.

Il est également constant qu'après l'arrêt confirmatif rendu par la cour d'appel de Bizerte le 19 novembre 2012 et en tout cas à la suite du rejet du pourvoi en cassation formé en Tunisie par Mme [I], selon arrêt du 20 juin 2013, le jugement de divorce prononcé le 19 décembre 2011 par le tribunal de Bizerte n'est plus susceptible de voie de recours ordinaire conformément à la loi tunisienne et est exécutoire en Tunisie.

Aucune des parties ne soutient que le jugement de divorce tunisien serait contraire à l'ordre public français, dans la mesure où, en particulier, le fondement du divorce prononcé en Tunisie n'est pas assimilable à une répudiation.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 juillet 2017, a considéré, selon un moyen relevé d'office, qu'en retenant notamment, pour accueillir la fin de non-recevoir soulevée par M. [G], que le jugement tunisien n'était pas contraire à une décision judiciaire française ayant autorité de la chose jugée, l'arrêt de la cour d'appel de Metz a violé l'article 15 e) de la convention franco-tunisienne précitée.

Pour statuer sur l'exception de litispendance dont il était saisi, le juge conciliateur français, dans son ordonnance de non-conciliation du 20 juin 2011 devenue définitive et ayant autorité de la chose jugée, a statué comme suit :

"Déclarons la juridiction française saisie compétente pour connaître de la présente procédure ;
"Disons que la loi française s'appliquera à la présente procédure ;

"Autorisons les époux à introduire la procédure de divorce ;
"Les renvoyons à saisir le juge aux affaires familiales pour qu'il prononce le divorce et statue sur ses effets ; (?)".

En distinguant la "procédure" dont il était saisi en qualité de juge conciliateur ("la présente procédure") et la "procédure de divorce" à venir, le juge aux affaires familiales n'a statué quant à la compétence et à la loi applicable que pour la conciliation prévue aux articles 252 à 257 du code civil, sans préjuger de la compétence du juge à saisir au fond de l'instance en divorce.

A la date à laquelle le juge conciliateur français a statué, les parties étaient encore mariées et l'instance en divorce pouvait encore être introduite devant le juge français, auquel il appartenait dans le cadre de l'instance en fond d'apprécier sa propre compétence et, le cas échéant, de statuer sur la demande en divorce sans être tenu, sur la compétence comme sur le prononcé du divorce par les termes ci-dessus cités du dispositif de l'ordonnance de non-conciliation.

En outre, à la différence du jugement de divorce tunisien, l'ordonnance de non-conciliation n'avait pas pour objet le prononcé de la dissolution du lien matrimonial. Dès lors, le jugement, prononcé le 19 décembre 2011, postérieurement à l'ordonnance de non-conciliation du 20 juin 2011, n'apparaît pas contraire à cette décision, au sens de l'article 15 (e) de la convention franco-tunisienne précitée.

Enfin, ni le juge du divorce français, saisi par assignation du 16 janvier 2012, ni même le juge conciliateur français, saisi sur requête de l'épouse enregistrée le 11 avril 2011, n'ont été saisis antérieurement à l'introduction de la demande devant le tribunal de Bizerte qui a rendu le jugement de divorce tunisien dont la reconnaissance est sollicitée, la saisine des juridictions tunisiennes datant du 14 décembre 2010.

Par conséquent, toutes les conditions posées par l'article 15 de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 étant remplies, le jugement de divorce prononcé le 19 décembre 2011 par le tribunal de Bizerte devait être reconnu de plein droit en France.

Puisque les parties n'étaient plus mariés à la date du 16 juillet 2013, à laquelle le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Metz a statué, le jugement de divorce doit être infirmé en toutes ses dispositions et la demande en divorce de Mme [I] sera déclarée irrecevable » ;

Alors que, en premier lieu, selon l'article 15 de la convention francotunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat à la condition, notamment, que la décision ne soit pas contraire à une décision judiciaire rendue dans l'Etat requis revêtue de l'autorité de la chose jugée ; qu'en matière de divorce, et en droit français, la compétence territoriale est déterminée par la résidence de la famille au jour où la requête initiale en divorce est présentée ; qu'en l'espèce, par une ordonnance de non-conciliation rendue le 20 juin 2011, et ayant acquis force de chose jugée faute d'appel, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Metz a rejeté l'exception de litispendance qui avait été soulevée et déclaré le juge français compétent pour connaitre du divorce ; qu'en jugeant que le juge conciliateur n'avait statué que sur la compétence et la loi applicable pour la conciliation prévue aux articles 252 à 257 du code civil, sans préjuger de la compétence du juge à saisir au fond de l'instance en divorce, de sorte que la décision tunisienne rendue le 19 décembre 2011 ne serait pas contraire à une décision française ayant autorité de chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 1070 du code de procédure civile, dans sa rédaction alors applicable, ensemble l'article 15 de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires ;

Alors que, en deuxième lieu, selon l'article 16 de la convention francotunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant en France ou en Tunisie sont reconnues de plein droit sur le territoire de l'autre Etat à la condition, notamment, que la compétence de l'autorité judiciaire de l'Etat dans lequel la décision a été rendue soit fondée ; que cette compétence est fondée, en cas d'action en divorce, lorsque le demandeur a la nationalité de l'Etat où la décision a été rendue et réside habituellement depuis au moins un an sur le territoire de cet Etat à la date de l'acte introductif d'instance ; qu'en l'espèce, Madame [I] faisait régulièrement valoir dans ses écritures d'appel que la juridiction tunisienne ne pouvait pas être compétente au sens de l'article 16 de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, puisque, si Monsieur [G], demandeur, était bien de nationalité tunisienne, il ne résidait en revanche pas depuis au moins un an en Tunisie à la date de l'acte introductif d'instance, pour être régulièrement domicilié en France, à [Localité 1] (conclusions, p. 8-9) ; qu'en jugeant que la condition de l'article 16 de la convention était remplie puisque « chacun des époux a à la fois la nationalité française et la nationalité tunisienne », cependant que la cour d'appel aurait dû vérifier si Monsieur [G], demandeur au divorce en Tunisie, y avait bien sa résidence depuis au moins un an au jour de la demande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 de la convention franco-tunisienne du 28 juin 1972 relative à l'entraide judiciaire en matière civile et commerciale et à la reconnaissance et à l'exécution des décisions judiciaires. ECLI:FR:CCASS:2021:C100532
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